A propos du lavement des pieds (Jn 13, 1-20)

Relisons ce texte de St Jean

Si l’on compare le récit des derniers jours de Jésus dans les quatre évangiles, on observe que seul   Saint Jean rapporte l’épisode du lavement des pieds. Par contre, il ne dit rien de la Cène qui figure dans les synoptiques. L’évangéliste donnerait-il plus d’importance à ce geste qu’à l’institution de l’Eucharistie ? D’autant qu’il place ce récit au début du « livre de l’heure », c’est-à-dire des chapitres qui rassemblent les derniers discours de Jésus, la Passion et la Résurrection ! (Jn 13-21). Il en fait un évènement essentiel, au fondement de la foi.

Le premier verset introduit l’ensemble du « livre de l’heure » ou « livre de la glorification » : « Avant la fête de la Pâque, Jésus, sachant que son heure était venue de passer de ce monde à son Père, ayant aimé les siens… les aima jusqu’à la fin » (ou « sans fin », selon les traductions). Jésus a connaissance de son heure et en a visiblement la pleine maîtrise. Cette heure est celle du passage «de ce monde à son Père » et celle de la manifestation du parfait amour, de l’amour absolu qui transcende le temps et l’espace.

« Au cours d’un repas ». Jean ne fait pas allusion au repas pascal, au dernier repas de Jésus avec ses disciples. Jésus sera mis à mort en même temps que les agneaux dans le Temple. Jésus crucifié est l’image de l’agneau immolé.

L’essentiel porte sur le geste qui va suivre et l’intervention du diable qui s’est emparé du cœur de Judas. Ainsi la trahison de Judas, son asservissement au diable et le lavement des pieds ont la Croix pour horizon. Judas, instrument du diable est en contrepoint à l’amour de Jésus. La Passion est le lieu de l’affrontement violent entre Dieu et le diable. La trahison de Judas veut éloigner l’homme de Dieu. Jésus a la pleine maîtrise des évènements, il connaît le cœur de l’homme et ordonne à Judas au verset 27 : « ce que tu fais, fais-le vite ».

Le récit de cette scène est court et sobre. Pour Pierre (et les autres disciples !), ce geste est surprenant, voire scandaleux. Ce geste d’accueil, d’hospitalité, était exécuté par des personnes de condition inférieure : femme, enfant ou esclave. Le bassin est le symbole de la soumission, de la servitude. Ce geste est donc parfaitement incongru, scandaleux de la part de Jésus qui s’abaisse au rang de serviteur alors qu’il est le maître pour ses disciples. Il inverse les rôles. Pierre n’accepte pas cet abaissement. Jésus conçoit que son geste soit difficile à comprendre et doit une explication à Pierre et aux disciples : « par la suite tu comprendras » Et « si je ne te lave pas les pieds, tu n’as pas part avec moi. » Le disciple est appelé à recevoir comme un don gratuit le service que le maître lui rend. Ce don l’établit dans la relation maître/disciple. Seul celui qui accueille la mort du Christ comme un service est en situation de tisser un lien éternel avec Jésus. Pierre ne comprend pas ce geste symbolique qui est aussi une métaphore de la Croix, une anticipation de la Croix, un geste d’amour infini et non un simple acte rituel. L’amour purifiant de Jésus est suffisant pour celui qui s’y soumet. Judas en a bénéficié, mais ne l’a pas accepté. « Vous êtes purs », dès maintenant, « mais pas tous. »

Jésus enseigne le sens de ce geste : « Vous aussi vous devez vous laver les pieds les uns aux autres » « C’est un exemple que je vous ai donné » Se réclamer de Jésus, c’est reproduire ce geste, entourer l’autre de sollicitude, aimer de l’amour du Christ. « Heureux êtes-vous si vous le faites » Qui agit comme lui, connaît Jésus, il est introduit dans la Vérité révélée qui conduit au bonheur. La conversion passe par l’imitation du Christ, fondement et exemple de l’amour donné et reçu.

Les derniers versets de ce passage (18-20) sont une nouvelle annonce de la trahison de Judas. Il a été choisi comme les onze autres disciples pour faire partie de ses proches (« les siens »13,1) et pour que s’accomplissent les Écritures. « Celui qui mange mon pain a levé contre moi son talon. » (Ps. 41,10). Lever son talon contre quelqu’un est une marque de mépris, de rupture. Un ami qui partageait sa table l’a trahi, il a trahi l’amour personnifié bien qu’il ait été comblé de cet amour par le lavement des pieds. Malgré cela, Jésus poursuit son œuvre de salut. La trahison n’impactera en rien son identité d’Envoyé du Père ni sa mission salvatrice. Jésus est le révélateur du Père, la Croix, le lieu de son authentique épanouissement. Il est « Je Suis », titre attribué à Dieu lui-même. Quand l’évènement arrivera, les disciples sont invités à confirmer leur foi : « pour qu’une fois celle-ci arrivée, vous croyiez que Je Suis » Alors qui accueillera les disciples, accueillera le Christ lui-même. Qui accueillera le Fils, accueillera le Père. Ce discours interprétatif de Jésus se termine sur un envoi. L’Envoyé représente totalement Celui qui l’envoie.

Ce geste du lavement des pieds ouvre sur la période post-pascale. Après Pâques, les disciples seront les envoyés du Christ par lesquels Il se rendra présent auprès de ceux qui L’accueilleront.

 Quelques versets plus loin (v. 34-35), Jésus affirme le commandement de l’amour mutuel : « Je vous donne un commandement nouveau : vous aimer les uns les autres comme je vous ai aimés » Jésus est l’exemple à imiter, fondement à partir duquel il nous sera possible d’aimer comme Lui nous a aimés.

L’amour du Christ nous guide dans la réalisation de cet amour pour les autres. Sa grâce nous précède et nous accompagne. Ainsi « tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples »

D’après le cours du Père Marc de Raimond au collège des Bernardins